Trueke, un peu d'histoire

avec Pablo Mayayo, un des Colombiens venu lancé les clubs de troc au Venezuela

 

L’Argentine sème les graines et essuie les premiers revers.

 

Il y a quelques mois, nous vous racontions l’histoire des clubs de troc en Argentine (voir newsletter n°3), le mouvement le plus important dans l’histoire contemporaine du troc puisqu’il mobilisait autour de 2,5 millions de personnes en 2002. Riches d’expériences positives : emplois et revenus complémentaires, création de micro-entreprises, éducation populaire, solidarité, démocratie participative, mobilisation citoyenne … les réseaux de troc se sont pourtant effondrés en l’espace de quelques mois (surémission de la monnaie, pratiques frauduleuses, perte de confiance). Il ne reste aujourd’hui qu’une trentaine de clubs de troc toujours actifs (contre 5 000 en 2002), difficile de parler d’un bilan positif. Mais le modèle des clubs de troc n’est pas pour autant à jeter… l’Argentine a semé des graines, le Venezuela va s’inspirer de cette expérience et construire un réseau, qui marche, comptant aujourd’hui 13 clubs de troc ac-tifs et près de 3 000 prosommateurs (contraction de producteurs et consommateurs pour qualifier les membres des clubs de troc).

Le troc, une tradition ancestrale

 

Juan Estéban Lopez, l’un des porte-parole du réseau national, nous le rappelle « l’une des particularités du réseau de troc vénézuélien est son lien très fort avec la culture indigène, sa relation à la terre … ».
Le troc est une tradition très ancienne. C’est une loi originelle pour beaucoup de communautés indigènes d’Amérique. Certaines investigations parlent de sistemas extensos de intercambio (systèmes d’échange étendus) dans lesquels circulaient des produits de différents villages indigènes, depuis les îles Caraïbes, en passant par les grands fleuves, jusqu’aux montagnes andines et la forêt amazonienne. Ce fut ainsi jusqu’à l’arrivée des conquistadors espagnols. Puis le troc a quasiment disparu, à l’exception de quelques régions isolées, où peu d’argent circulait, et de certaines communautés indigènes.
Depuis les années 90, le troc a commencé à resurgir de nouveau dans différents pays d’Amérique Latine comme l’Argentine, le Mexique, le Brésil et la Colombie. Pour faire face aux difficultés économiques, des communautés se sont organisées autour de ces nouveaux systèmes de troc modernes, créant des marchés locaux où l’on échange ses produits, services et savoirs, sans utiliser d’argent. Le troc direct ayant ses limites, pour faciliter les échanges, naissent des monnaies locales (qui n’ont de valeur qu’au niveau local, au sein d’un système de troc donné).

Le troc moderne, histoire del Red de Trueke de Venezuela

 

Tout au long de nos rencontres, on ne cessera de nous le répéter avec fierté « nous devons cette belle initiative de troc à notre président, el Comandante Hugo Chavez ». En 2006, Hugo Chavez commence à faire des déclarations publiques (notamment dans son programme télévisé) sur l’idée de lancer des Systèmes de Troc au Venezuela. Il a eu connaissance des expériences brésiliennes et argentines et en a même discuté avec Danielle Mitterrand. En août de la même année, une délégation du gouvernement se rend en Colombie, à Medellin, pour visiter le Sistema de Trueke de Santa Elena.

Le gouvernement fait alors appel à deux Colombiens, Pablo Mayayo et Juan Estéban Lopez pour monter un réseau de clubs de troc au Venezuela. Ils seront employés par l’INAPYMI (Instituto Nacional de la Pequena Y Media Industria), entité dépendant directement du gouvernement. En Argentine, les fondateurs du RGT (Red Global de Trueke) « sortaient de nulle part ». Trois amis qui avaient eu l’idée de lancer un club de troc entre voisins pour s’entraider. Cette initiative originale avait été rapidement médiatisée et dupliquée, apparaissant comme la solution dans une Argentine en pleine crise. Les trois fondateurs ne s’attendaient sans doute pas à un tel engouement, le succès des clubs de troc leur est monté à la tête et ils y ont vu une entreprise qui pouvait être très lucrative, un modèle de franchise où pour résu-mer « ils vendaient des bouts de papier pour de l’argent ». Sans aucun contrôle de l’Etat ou de quelque autre instance extérieure, l’expérience a rapidement dérapé laissant place à la corruption et autres pratiques frauduleuses voire mafieuses (pour en savoir +). L’expérience vénézuélienne est bien différente. C’est le gouvernement qui décide de lancer ces nouveaux systèmes de troc et fait appel à deux consultants Colombiens qui travaillent déjà sur ce type d’initiative dans leur pays. Bien sûr, ils s’appuieront sur les enseignements de l’expérience argentine, rencontrant « les 3 de Bernal » (les fondateurs du RGT argentin), et comprendront rapidement que derrière leur discours solidaire se cache une entre-prise à fins lucratives. Pablo Mayayo dé-nonce clairement leurs pratiques qui sont contraires à la philosophie solidaire et socialiste du troc au Venezuela.

En 2007, le premier sistema de trueke est lancé dans la petite ville d’Urachiche (état de Yaracuy), avec la première monnaie communale du Venezuela, la Lionza, en hommage à la déesse de la fertilité Maria Lionza, rappelant ainsi l’identité culturelle d’Urachiche. Le 18 juin, nous étions présents pour fêter le 4ième anniversaire del sistema de trueke d’Urachiche. Quelques mois plus tard, naissent deux nouveaux systèmes de troc à Bocono (Trujilo) et à San Luis (Falcon) et en décembre a lieu la première rencontre nationale. 4 années plus tard, le réseau compte 13 sistemas de trueke et près de 3000 prosumidores. Fin juin 2011 nous participons à la 4ième rencontre nationale qui est aussi la 2ième rencontre internationale.