Palmas (Brésil)

La Monnaie Sociale Palmas est une des composantes d’un dispositif intégré de développement de l’économie solidaire et de développement local au Brésil. L’idée centrale est celle du soutien d’activités génératrices de travail et de revenu, répondant aux besoins de la population, par le soutien simultané à la production et à la consommation. Le soutien à la production est générateur de travail et de revenu, le soutien à la consommation et la monnaie sociale assurent des débouchés aux productions du quartier (qui, sinon, subissent la concurrence forte des grandes entreprises et grandes marques). Il se crée ainsi un réseau de « prosommacteurs » (producteurs consommateurs acteurs de leur développement), qui permet la relocalisation durable des échanges au sein du quartier.

Fiche réalisée par Celina Whitaker et Carlos de Freitas dans le cadre du Séminaire « Monnaies Complémentaires » organisé en 2009 par l’Association SOL et la Mairie de Nanterre.

La Banque Palmas est née d’un constat, celui de la pauvreté, et de la recherche de réponses à ce constat, la lutte contre la pauvreté endémique d’un quartier abandonné des acteurs économiques et publics. La monnaie sociale et la Banque communautaire s’intègrent et doivent être compris comme une facette, un outil, d’un projet plus vaste, projet qui s’affirme d’emblée comme un mouvement d’économie solidaire. Il a, par principe, une dimension morale et éthique forte. Il s’affirme pour l’autogestion, la redistribution de la richesse, la solidarité, le respect de l’environnement, une autre forme de produire,consommer, vivre.

Origine et objectifs

  • La Banque Palmas est le fruit de l’histoire d’une favela, le Conjunto Palmeiras et de près de quarante ans de luttes conduites par ses habitants pour conquérir de meilleures conditions de vie.
  • Cette histoire débute en 1973…. et ses premiers pas sont ceux des luttes pour des conditions de vie décentes pour la communauté. En 1997, la favela a changé de visage, les maisons sont « en dur », l’assainissement, l’électricité en place…. , mais la pauvreté reste une réalité quotidienne. Pire, les gens commencent à partir, le coût de la vie augmente avec les factures, et les revenus et l’emploi restent quasiment inexistants.
  • La communauté se réunit alors pour imaginer comment réagir à cette réalité de pauvreté qui perdure. Et face à la question « pourquoi sommes nous pauvres ? », la réponse se dessine « nous ne sommes pas pauvres parce que nous n’avons pas d’argent, mais parce que nous ne dépensons pas notre argent ici », il n’y a pas de « territoires pauvres », mais des « territoires qui s’appauvrissent à force de perdre leur épargne interne ». Il faut donc garantir que la base monétaire disponible sur le quartier y reste.
  • La Banque Palmas, institution de micro-finance solidaire, est créée en 1998 par les habitants du quartier. Son objectif est donc de construire simultanément l’offre et la demande dans le quartier et de relocaliser durablement les échanges. Pour cela, elle s’appuie sur une organisation originale qui allie micro-crédit et monnaie locale.

Comment cela fonctionne ?

  • La banque Palmas fonctionne à partir d’une base, d’un « fonds » monétaire en réals. Celui-ci provient à la fois de portefeuille de crédits prêtés par des banques traditionnelles à taux bas et de dons réalisés par des ONG partenaires ou subventions.
  • Une partie de cette base monétaire est alors « transformée » en Palmas par la Banque. La banque crée ainsi un fonds en Palmas équivalent au fonds en réals, ce dernier étant conservé en « gage ».
  • La banque Palmas accorde alors, sur ces fonds, (en monnaie nationale, le Real et en Palmas) :
  • Des crédits à la production, délivrés en Réals et en Palmas. Les taux d’intérêt sont de 1 à 3,5% , le prêt est d’au maximum 10.000 Reals. La banque privilégie le développement de petites entreprises familiales, le soutien à la création et développement d’activités qui répondent aux besoins du quartier. Ces besoins sont identifiés grâce à une cartographie de la consommation et de la production locale, établie au travers d’enquêtes.
  • Des crédits à la consommation, délivrés en Palmas. Ces crédits sont sans intérêts, ils sont remboursables en Palmas ou en Réals.
  • Ces Palmas circulent alors entre consommateurs et commerçants, qui peuvent à leur tour les utiliser pour d’autres achats dans le quartier. 240 commerçants acceptent le Palmas, et accordent une remise directe au client pour des achats en Palmas pour stimuler l’achat en « monnaie locale circulante »
  • Le Palmas est échangeable à la banque contre des réals pour les commerçants et producteurs qui doivent se fournir en matières premières ou accéder à des technologies non disponibles dans le quartier. Les consommateurs ne peuvent pas échanger leurs Palmas en réals, ce qui garantit la relocalisation des échanges.
  • Le Palmas n’est pas une monnaie fondante. C’est à dire que sa valeur n’est pas dépréciée au fil du temps, comme par exemple pour le Chiemgauer (la fonte a pour objectif d’accélérer la circulation de la monnaie, et empêche sa thésaurisation / épargne). Théoriquement, on pourrait même épargner en Palmas. En fait, dans ce cas, le mécanisme de fonte n’est pas nécessaire pour dynamiser la circulation : le Palmas intervient dans un contexte de rareté monétaire, où l’épargne n’est pas « à l’ordre du jour » (et dans le cas où les personnes peuvent épargner un peu, elles le font naturellement en Reals).

Pourquoi « entrer » dans le système Palmas ?

  • Pour les particuliers, l’intérêt est double. Il y a bien entendu la volonté de contribuer, par ce biais, au développement économique du quartier, dans la continuité des luttes et de l’histoire de la favela. Les activités d’éducation populaire du Banco Palmas mettent en lumière la possibilité pour chacun d’être acteur d’un développement construit par ses choix de consommation. Mais le change de Reals en Palmas est également intéressant d’un point de vue strictement économique, puisque les entreprises du quartier offrent des réductions aux personnes payant en Palmas. Enfin, le Banco Palmas offre également des crédits à la consommation sans intérêt.
  • Pour les entreprises, accepter des Palmas pour l’achat de leurs produits, c’est s’assurer d’une clientèle fidèle et locale. C’est un élément important pour des petites structures qui sont soumises à la concurrence générale du marché. Par ailleurs, entrer dans le réseau permet également de bénéficier des différentes activités de la Banque, et en particulier des micro-crédits à la production. Enfin, entrer dans le réseau démontre l’adhésion du commerçant au projet solidaire de développement durable du quartier où habitent ses clients.

L’affirmation de la « démocratie économique ». La Banque est la banque de tous.

  • La banque communautaire n’a pas de propriétaire, elle appartient à la communauté. La gestion est collective, et tout habitant peut y participer. Aujourd’hui, quand nous sommes clients d’une banque, nous n’avons aucun contrôle sur ce que fait la banque et sur l’utilisation des ressources par celle-ci. Les banques communautaires s’inscrivent dans une démarche totalement inverse : « nous sommes les propriétaires de notre système financier », le contrôle social, est essentiel. Dans les banques communautaires, c’est l’ensemble de la population du quartier qui en définit les orientations et qui la contrôle.
  • Concrètement, un « Forum permanent de l’économie locale », ouvert à tous les habitants du quartier, se réunit une fois par semaine. C’est un lieu qui permet de débattre de tout… les objectifs les priorités en termes de microcrédit et d’utilisation de l’argent, les problèmes de la communauté et comment y répondre, les comptes et l’état de la banque, les modes de fonctionnement, etc….

Où en est on ?

  • Aujourd’hui, 240 commerçants acceptent les palmas, et 46 000 Palmas circulent quotidiennement dans le quartier. 1800 emplois ont été créés. 93% des achats ont lieu à l’intérieur du quartier contre 20% en 1997. En 2007, la ville de Fortaleza a accordé à l’ancienne favela le titre de « quartier » à part entière en reconnaissance de l’histoire des luttes et de la réussite exceptionnelles de la communauté.
  • La banque a noué depuis 2005 un partenariat avec la Banque du Brésil. Elle est ainsi devenue « correspondant bancaire » de la Banque du Brésil, Ceci permet aux habitants de bénéficier directement des services bancaires (ouverture de compte, payement des factures, réception de la pension,…), alors qu’aucune agence ne se serait implantée dans le quartier, faute de rentabilité. La Banque Palmas est rétribuée pour ce service rendu. Par ailleurs, la Banque du Brésil fournit un portefeuille de crédit pour les prêts à la production, ainsi que les logiciels de suivi du système.
  • L’Institut Palmas a géré, de 2005 à 2009 plus de 32,5 millions d’euros pour le compte de la Banque du Brésil :
  • En 2010, un autre accord est signé avec la Caixa Economica Federal, permettant ainsi de distribuer une partie des allocations familiales en monnaie sociale !
  • En 2003, la Banque a créé, en partenariat avec le Secrétariat National à l’Economie Solidaire (SENAES), l’Institut Palmas, avec une mission d’essaimage du modèle. Aujourd’hui 60 banques de ce type existent au Brésil, pour 2 millions de bénéficiaires. Elles se sont constituées en Réseau des Banques Communautaires brésiliennes, qui réunit aussi bien les 60 banques communautaires que des chercheurs et des partenaires stratégiques
  • Les salariés de la Banque Palmas et de l’Institut Palmas sont tous issus du quartier avec une moyenne d’âge autour de 28 ans. Ils ont été formés à l’intérieur du système (PalmaTech : structure de formation interne). L’animation de la vie sociale du quartier (sensibilisation, mobilisation, organisation) est permanente et conduite par l’équipe, avec des outils divers, y compris en faisant appel à la culture.
  • L’ancrage territorial du système a permis la mise en place d’une culture identitaire forte, agrégé autour de la Banque et de sa monnaie locale, puissants leviers d’auto-estime pour les habitants et facteur de réappropriation de l’économie et de la finance par la population (par ailleurs constamment alertée sur les enjeux de démocratie économique au travers de campagne de mobilisation festives et créactives).
  • En Novembre 2009, la Banque Centrale du Brésil, le Ministère du travail et le SENAES ont signé un accord pour la mise en place d’un cadre légal pour l’accompagnement et le développement des Banques Communautaires et des Monnaies Sociales à l’échelle nationale.

Références :

  • Joaquim Melo (collab Elodie Bécu et Carlos de Freitas) Viva Favela, 2009, Ed Michel Lafon

La Banque Palmas : des habitants d’une favela, à qui l’on n’aurait pas prêté un centime ont créé une banque, lancé une monnaie, incubé plusieurs coopératives de production, développé la marque « Palmas » déclinées en fonction des types de produits réalisés (PalmaFashion, PalmaLimpe, PalmaNatus, PalmaTur…), mis en place des programmes de capacitation citoyenne (formations ciblées en gestion, consulting..), innové par des outils d’expertise sociale, financière, marketing